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On conduisit M. Pairier d'abord à Bécherel, puis à Montfort, le 12 juin, et enfin à Rennes, où il fut enfermé dans les prisons de la Porte Saint-Michel. Non seulement l'abbé Pairier pardonna à cet homme qui le livrait à ses bourreaux, mais, en digne disciple de Jésus-Christ, il recommanda plusieurs fois à ses parents, dit Tresvaux du Fraval, de ne vouloir aucun mal à celui qui s'était montré si cruel à son égard, et les pria même de lui faire du bien, ainsi qu'à sa famille, si l'occasion s'en présentait.
Les Souvenirs de Mgr Brute renferment une émouvante page sur l'abbé Pairier :
"Ma mère, écrit l'évêque de Vincennes, le vit passer sous ses fenêtres se rendant au palais de justice. Elle fut frappée de l'aspect remarquable de M, Pairier, un grand prêtre à cheveux gris, aux traits célestes et à la démarche pleine de dignité; et en ce moment elle fut témoin d'une circonstance qui donnera l'idée de l'esprit de l'époque, mieux qu'une longue description.
La guillotine à Rennes, comme dans la plupart des villes, était dressée en permanence sur la place publique, souvent ensanglantée et portant parfois des têtes exposées. En passant avec leurs prisonniers pour se rendre au tribunal, les gendarmes avaient l'habitude d'appeler l'attention de leurs victimes sur l'instrument fatal, et les forçaient a le regarder.
- "Regarde donc, dit l'un d'eux à M. Pairier; dis donc bonjour à madame la guillotine; ne vas-tu pas l'épouser ? ".- Et la foule criait en même temps : " A la guillotine ! A la guillotine ! " Cet ecclésiastique ne parut pas faire attention au propos de. son gardien et ne détourna pas la tête, mais il continua à marcher modestement à la suite des autres prisonniers. Le gendarme, offensé de ce que M Pairier n'eût pas obéi à son ordre, lui donna un coup violent au visage, en disant : " Veux-tu regarder où je te dis? Tu seras bientôt là toi-même !" - " Je la vois ", répondit tranquillement M. Pairier.
L'interrogatoire de l'abbé Pairier par un juge du Tribunal criminel fait défaut dans son dossier, mais cet interrogatoire, simple constatation d'identité d'après les termes de la loi, manque habituellement d intérêt En revanche, nous en possédons trois autres qui nous éclairent parfaitement sur la mentalité de cet ecclésiastique, lequel, d'après ses réponses, n'était nullement l'ennemi des réformes que l'Assemblée Constituante avait réalisées en France, si elles se fussent tenues dans leur domaine propre et n'eussent point touché à la Constitution même de l'Eglise. Il était demeuré dans sa paroisse natale, confiant dans la sympathie dont il jouissait parmi ses compatriotes, auxquels il rendait des services de toutes sortes, tout en étant " navré des événements dont il était témoin". Par ailleurs, les réponses dé M. Pairier témoignent de beaucoup de circonspection. Il évite de fournir de nouveaux arguments contre lui à ses accusateurs et ne leur avoue que ce qui lui est impossible de leur cacher : telle sa réponse dans laquelle il prétend n avoir jamais célébré la messe depuis dix-huit mois. Il évite aussi soigneusement tout ce qui pourrait compromettre des tiers et, à part sa mère et ses sœurs, il prend garde de nommer quelqu'un, sachant par avance combien une imprudence de langage de sa part serait terrible pour la personne qui en serait l'objet. M. Pairier fut condamné le 16 juillet 1794 à la peine de mort par le Tribunal criminel d'Ille-et-Vilaine. Les motifs invoqués pour justifier cette sentence, nous les avons déjà vus appliquer plusieurs fois : le prévenu est demeuré, quoique insermente, sur le territoire français, en violation de la loi qui expulsait du sol de la République révolutionnaire tous les prêtres " fanatiques ".
Le lendemain 17 juillet, M. Pairier subit le châtiment mérité pour une faute aussi impardonnable. Il fit preuve en la circonstance, écrit Guillotin de Corson, des mêmes sentiments de Foi et de piété dont il avait fait montre précédemment. S'il ne put égrener, en marchant au supplice, le chapelet qu'il portait sur lui lors de son arrestation, et que le Comité révolutionnaire de Rennes lui avait confisqué " comme un signe de ralliement pour les brigands ", ses lèvres durent murmurer bien souvent le nom de Marie jusqu'à ce que le couperet de la guillotine vînt jeter son âme entre les mains de Celle qu'il avait tant de fois invoquée.