- Celui-ci nous a gardé de ses relations avec M.
Saint-Pez l'intéressant récit qu'on va
lire, et que M. Çarron dit avoir recueilli de la
bouche même du narrateur:
- "Ce fut dans une maison du bourg de Baguer-Morvan,
où je restai six jours caché, fuyant la
réquisition(5), que je me livrai à des
réflexions très sérieuses. Je
n'étais occupé que des pensées de la
mort
- à laquelle je me voyais exposé nuit et
jour. Je me dis à moi-même : " C'en est
fait, je veux chercher un prêtre catholique et
faire une confession générale. " Je
retournai donc au bourg de Roz-Landrieux,
- chez maman, dont la maison était
considérée comme l'asile des prêtres,
des nobles et autres royalistes. Je lui parlai de ma
résolution. " L'occasion est pour toi très
favorable, me répondit-elle. Il y a ici, dans la
chambre destinée aux prêtres que nous
cachons, M. Saint-Pez, qui est bien digne d'inspirer ta
confiance et qui, te connaissant depuis ta
première jeunesse, sera charmé de te voir
dans de tels sentiments. Je ne doute pas qu'il ne te
reçoive à bras ouverts. " - Maman
m'annonça ; il me manda aussitôt, me
reçut à bras ouverts et me pria de
m'asseoir. Apres une longue conversation, il me demanda
si je voulais
- l'accompagner durant la persécution. Je lui
répondis que je m'en trouverais fort honoré
et que je le suivrais partout. Il me fit observer que si
j'étais pris avec lui, je risquerais fort d'avoir
le même sort.
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- " Qu'importe, Monsieur ", lui
répartis-je.
- Je commençai donc le lendemain soir à
l'accompagner ; il n'était pas longtemps dans
chaque maison, parce qu'il tenait à voir le plus
de monde possible (6). Cette mission dura jusqu'au 24
avril 1794. Ce jour-là, M. Saint-Pez et son
compagnon, qui s'appelait Pierre-François
Delalande, revenaient de Dol, se dirigeant vers
Baguer-Pican pour administrer un malade,
- quand ils furent arrêtés, vers les dix
heures du soir, dans le cimetière de
Carfântain, par des gardes nationaux et des soldats
du régiment de Salm-Salm.
- D'après la narration de Pierre Delalande, M.
Saint-Pez et lui s'en fuyaient à toutes jambes,
lorsque le prêtre entendit pousser un cri et crut
son compagnon rejoint et mis à mort.
L'émotion le fit alors tomber évanoui, ce
dont profitèrent les poursuivants pour
l'arrêter, ainsi que son ami. On les emmena tous
les deux à Dol, et, le long de la route, les
prisonniers ne cessèrent d'essuyer les basses
injures et les cruelles railleries de la
soldatesque.
- JUGEMENT ET CONDAMNATION. DE CHARLES SAINT-PEZ,
- le 13 mai 1794 (7).
- " Du vingt-quatre floréal, an deuxième
de la République Française, une et
indivisible.
- La commission militaire établie à
Port-Malo, en vertu du réquisitoire du citoyen
Bernard Trehouart représentant du peuple, du dix
frimaire; autorisée à juger
révolutionnairement par ordre du citoyen Le
Carpentier représentant du peuple, du neuf
nivôse, ayant résumé publiquement les
interrogatoires de Charles Saint-Pez, âgé de
quarante-trois ans, natif de la commune de Roz Landrieux,
district de Dol, département d'Isle-et- Vilaine,
ex-curé et domicilié de la commune
d'AucaIeuc, district de Dinan, jusqu'en septembre mil
sept cent quatre vingt douze, qu'il se déporta
comme prêtre réfractaire, dans l'île
Anglaise de Jersey, rentré en France sur la fin de
novembre suivant et errant depuis dans les communes
voisines de Dol et de Dinan, arrêté dans la
commune de Carfantin, le cinq floréal, soir,,
ayant eu lecture de la loi du dix huit mars 1793,
portant, article premier : " Huitaine après la
publication du présent décret, tout citoyen
est tenu " de dénoncer, arrêter ou faire
arrêter les émigrés ou les
prêtres dans le cas de ta déportation, qu'il
saura être sur le territoire de la
République. "
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- Et article deux : " Les émigrés et les
prêtres dans le cas de la déportation, qui
auront été arrêtés dans le
délai ci-dessus fixé, seront conduits de
suite dans les prisons du district, jugés par un
jury militaire, et punis de mort dans les vingt quatre
heures. "
- Et de la loi des vingt neuf et trente
vendémiaire portant, articles V, X, XIV, XV et XVI
(Cf. p. 13 à 15).
- Considérant que des interrogatoires de
Saint-Pez devant la commission et devant les commissaires
de l'administration du district de Dol, il résulte
clairement que Saint-Pez n'a point prêté le
serment ordonné par les lois du douze juillet et
du vingt-sept novembre 1790. (SERMENT A LA CONSTITUTION
CIVILE.)
- Qu'il a exercé les fonctions curiales dans la
commune d'Aucaleuc, district de Dinan, jusqu'au
commencement de septembre 1792. Que si en vertu du
décret du 14 août 1792, il se déporta
dans l'île de Jersey ; il est rentré et a
résidé clandestinement en France, depuis la
fin de novembre ou le commencement de décembre
suivant, par contravention aux lois des 18 mars et 21
avril 1793 (vieux style).
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