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Néanmoins, la sagacité de ces chrétiens dévoués finit par être mise en défaut. Quelqu'un signala à la gendarmerie de Montfort la présence aux Couettes d'un prêtre, parent de la bonne fermière et portant le même nom qu'elle : l'abbé Pierre-Julien Oresve. Et voilà pourquoi le 25 prairial, par une belle journée de juin, la ferme des Couettes se trouvait bouleversée par une visite domiciliaire.
Le danger que courait le pauvre prêtre - bien réellement caché dans la maison - était toutefois moins grand qu'il ne le paraissait. Le chef du détachement envoyé pour faire la perquisition se trouvait être un gendarme de Montfort, dont l'abbé Trèsvaux, au tome II, page 22, de son Histoire delà Persécution en Bretagne, nous a laissé le portrait suivant : " Cet homme se montrait terrible en paroles et furieux en apparence; mais, loin d'être méchant dans le fond, il ne cherchait qu'à sauver les prêtres, et il y réussit plus d'une fois. Il laissait ordinairement sa troupe à la porte des maisons, y entrait seul en jurant, faisait une certaine fouille dans l'intérieur et sortait ensuite, en disant qu'il ne s'y trouvait pas de calotin, terme de mépris dont les révolutionnaires se servaient habituellement pour désigner les prêtres fidèles. Il grondait même alors ses gens, en leur disant qu'ils l'avaient peut-être laissé s'échapper, pendant qu'il était dans la maison." Cet honnête gendarme agit aux Couettes comme il avait coutume de faire : il place tous ses hommes aux différentes portes des bâtiments de la ferme,
entre seul en faisant grand bruit, parcourt tout le logement, sort en criant qu'il ne trouve rien et reproche brusquement aux soldats d'avoir mal gardé les issues." L'abbé Oresve était sauvé et la troupe allait quitter la ferme quand un vaurien, accouru au bruit qu'avait occasionné la perquisition, se glisse à son tour dans la maison et aperçoit sous un lit le bout des pieds d'un homme. Aussitôt le misérable rappelle les soldats, et, arrachant M. Oresve de sa cachette improvisée, il le livre à toute leur fureur. Les révolutionnaires accablent le prêtre de coups et d'injures, lui lient les bras derrière le dos, lui fixent une torsade de foin dans la bouche pour l'empêcher de parler et prennent, en chantant des refrains révolutionnaires, la route de Montfort.

Comme ils quittaient la ferme des Couettes arrivèrent des religieusesqui avaient donné rendez-vous en cette maison à l'infortuné M. Oresve. Quoiqu'elles fussent naturellement revêtues d'habits séculiers, ces pauvres femmes se trahirent elles-mêmes par la surprise et la douleur qui se peignirent sur leurs traits, à la vue du prêtre de Jésus-Christ si ignominieusement traité. Du reste, elles ne cachèrent point leur qualité, s'estimant heureuses dé souffrir pour Nôtre-Seigneur en compagnie d'un de ses plus dévoués ministres. Elles furent aussitôt arrêtées et subirent de nombreux interrogatoires de la part des autorités révolutionnaires. Le procès-verbal de l'arrestation de M. Oresve, que nous a conservé le gendarme Poulain, ne nous laisse soupçonner aucun de ces détails. Suivant cette pièce, que nous reproduisons plus haut, l'abbé Oresve se reposait sur un banc à l'extérieur, se croyant en sécurité, quand un détachement des chasseurs d'Evreux survint. Le prêtre proscrit étant rentré précipitamment, c'en fut assez pour occasionner une visite domiciliaire, au cours de laquelle on le découvrit caché sous un lit. Aussitôt arrêté, on le conduisit à Montfort, où il subit un premier interrogatoire. Avec lui furent emmenées prisonnières les religieuses dont il vient d'être question dans le récit de Tresvaux du Fraval.

Le lendemain de son incarcération à Montfort, l'abbé Oresve fut conduit à Rennes avec le prêtre Pairier, arrêté depuis le 10 juin précédent. On les remit entre les mains du Comité révolutionnaire de Rennes. L'interrogatoire que dut subir l'ex-vicaire de Bédée nous a été conservé et nous le reproduisons plus loin. Il abonde en détails intéressants qui nous éclairent sur la mentalité de ce confesseur de la Foi. On voit vraiment que ce n'étaient nullement les sentiments royalistes qui animaient la conduite de ce bon prêtre, mais seulement son attachement à la religion romaine.

Il n'hésite pas à répondre " qu'il aime les lois républicaines dans la mesure ou elles n'attaquent -pas la liberté de sa conscience, et qu'il lui est, en "soi, égal de vivre sous les lois républicaines ou sous celles

de la monarchie". Quant au serment constitutionnel, il ne l'a pas prêté, dit-il, parce qu'il répugnait à sa conscience. Toutes ses autres réponses témoignent, par ailleurs, tant du désir de ne pas blesser la vérité que de sa volonté de ne compromettre personne pour lui avoir donné asile. S'il cite ses deux frères et sa mère comme l'ayant caché de temps à autre, c'est qu'il supposait que cette action, si naturelle de la part de ses proches, ne pouvait leur être imputée à crime. Les personnes qu'il avoue avoir confessées sont mortes, et le prêtre Eveillard, qu'il a fréquenté, est lui aussi trépassé en prison. Son interrogatoire achevé, l'abbé Oresve fut conduit à la Tour Saint-Michel; c'était alors l'antichambre du Tribunal criminel, infatigable pourvoyeur de la guillotine. On l'y laissa deux jours seulement. Le 18 juin 1794, le courageux prêtre comparaissait devant Demeaux, l'un des juges faisant le service par quartier au Tribunal criminel, afin d'y

subir l'interrogatoire d'identité prescrit par la loi. Il y renouvela ses déclarations déjà faites au Comité révolutionnaire rennais. Il ajouta même qu'il avait été en 1790 aumônier de la garde nationale de Bédée, qu'il avait à cette époque prêté comme citoyen serment à la nouvelle Constitution que s'étaient donnée les Français (i), qu'il était au début partisan des réformes que la Révolution avait apportées au pays, qu'il avait même fait de la propagande autrefois en faveur du nouveau régime, mais, distinguant bien nettement ce qui relevait du temporel de ce qui dépendait du spirituel, il prit bien soin d'ajouter " qu'il n'avait pas cru pouvoir prêter le serment comme vicaire ".

De telles preuves de " fanatisme " ne pouvaient manquer d'attirer sur sa tête les foudres de la loi. Du reste, les termes de celle-ci ne laissaient aux insermentés aucun échappatoire. Dix-huit mois durant, Oresve avait mené une existence digne des confesseurs de la Foi de la primitive Eglise. Il méritait la même récompense; elle lui fut accordée. Le 17 juin, ce digne ecclésiastique s'entendit condamner à la peine capitale comme " convaincu d'avoir été sujet à la déportation [comme insermenté] et d'être demeuré caché en France au mépris de la Loi ".

Julien-Pierre Oresve marcha au supplice le lendemain du jour où il avait été condamné et rendit à Dieu sa belle âme, comme saint Etienne, dans la première fleur de sa jeunesse sacerdotale. L'enregistrement de son décès fut fait à l'Hôtel de Ville de Rennes dans les termes suivants, qui n'indiquent pas le lieu où il fut exécuté : " Jullien Oresve, ex-prêtre habitué de Bécherel [lire Bédée], sans qu'il y ait de plus amples instructions, est décédé le Ier messidor an II (19 juin 1794). "

Le souvenir de ce prêtre, écrit l'abbé Guihard, dont le chanoine de Corson rapporte les paroles, est demeuré vivant dans les paroisses de Bédée et de Cintré, qu'il édifia par ses vertus et qu'il maintint dans la Foi catholique grâce à son zèle infatigable.

(1) A cette époque, la constitution civile n'était pas encore décrétée.