Comme ils quittaient la ferme des Couettes
arrivèrent des religieusesqui avaient donné
rendez-vous en cette maison à l'infortuné M.
Oresve. Quoiqu'elles fussent naturellement revêtues
d'habits séculiers, ces pauvres femmes se trahirent
elles-mêmes par la surprise et la douleur qui se
peignirent sur leurs traits, à la vue du prêtre
de Jésus-Christ si ignominieusement traité. Du
reste, elles ne cachèrent point leur qualité,
s'estimant heureuses dé souffrir pour
Nôtre-Seigneur en compagnie d'un de ses plus
dévoués ministres. Elles furent aussitôt
arrêtées et subirent de nombreux
interrogatoires de la part des autorités
révolutionnaires. Le procès-verbal de
l'arrestation de M. Oresve, que nous a conservé le
gendarme Poulain, ne nous laisse soupçonner aucun de
ces détails. Suivant cette pièce, que nous
reproduisons plus haut, l'abbé Oresve se reposait sur
un banc à l'extérieur, se croyant en
sécurité, quand un détachement des
chasseurs d'Evreux survint. Le prêtre proscrit
étant rentré précipitamment, c'en fut
assez pour occasionner une visite domiciliaire, au cours de
laquelle on le découvrit caché sous un lit.
Aussitôt arrêté, on le conduisit à
Montfort, où il subit un premier interrogatoire. Avec
lui furent emmenées prisonnières les
religieuses dont il vient d'être question dans le
récit de Tresvaux du Fraval. Le lendemain de son incarcération à
Montfort, l'abbé Oresve fut conduit à Rennes
avec le prêtre Pairier, arrêté depuis le
10 juin précédent. On les remit entre les
mains du Comité révolutionnaire de Rennes.
L'interrogatoire que dut subir l'ex-vicaire de
Bédée nous a été conservé
et nous le reproduisons plus loin. Il abonde en
détails intéressants qui nous éclairent
sur la mentalité de ce confesseur de la Foi. On voit
vraiment que ce n'étaient nullement les sentiments
royalistes qui animaient la conduite de ce bon prêtre,
mais seulement son attachement à la religion
romaine. Il n'hésite pas à répondre " qu'il
aime les lois républicaines dans la mesure ou elles
n'attaquent -pas la liberté de sa conscience, et
qu'il lui est, en "soi, égal de vivre sous les lois
républicaines ou sous celles de la monarchie". Quant au serment constitutionnel, il ne
l'a pas prêté, dit-il, parce qu'il
répugnait à sa conscience. Toutes ses autres
réponses témoignent, par ailleurs, tant du
désir de ne pas blesser la vérité que
de sa volonté de ne compromettre personne pour lui
avoir donné asile. S'il cite ses deux frères
et sa mère comme l'ayant caché de temps
à autre, c'est qu'il supposait que cette action, si
naturelle de la part de ses proches, ne pouvait leur
être imputée à crime. Les personnes
qu'il avoue avoir confessées sont mortes, et le
prêtre Eveillard, qu'il a fréquenté, est
lui aussi trépassé en prison. Son
interrogatoire achevé, l'abbé Oresve fut
conduit à la Tour Saint-Michel; c'était alors
l'antichambre du Tribunal criminel, infatigable pourvoyeur
de la guillotine. On l'y laissa deux jours seulement. Le 18
juin 1794, le courageux prêtre comparaissait devant
Demeaux, l'un des juges faisant le service par quartier au
Tribunal criminel, afin d'y subir l'interrogatoire d'identité prescrit par la
loi. Il y renouvela ses déclarations
déjà faites au Comité
révolutionnaire rennais. Il ajouta même qu'il
avait été en 1790 aumônier de la garde
nationale de Bédée, qu'il avait à cette
époque prêté comme citoyen serment
à la nouvelle Constitution que s'étaient
donnée les Français (i), qu'il était au
début partisan des réformes que la
Révolution avait apportées au pays, qu'il
avait même fait de la propagande autrefois en faveur
du nouveau régime, mais, distinguant bien nettement
ce qui relevait du temporel de ce qui dépendait du
spirituel, il prit bien soin d'ajouter " qu'il n'avait pas
cru pouvoir prêter le serment comme vicaire ". De telles preuves de " fanatisme " ne pouvaient manquer
d'attirer sur sa tête les foudres de la loi. Du reste,
les termes de celle-ci ne laissaient aux insermentés
aucun échappatoire. Dix-huit mois durant, Oresve
avait mené une existence digne des confesseurs de la
Foi de la primitive Eglise. Il méritait la même
récompense; elle lui fut accordée. Le 17 juin,
ce digne ecclésiastique s'entendit condamner à
la peine capitale comme " convaincu d'avoir
été sujet à la déportation
[comme insermenté] et d'être
demeuré caché en France au mépris de la
Loi ". Julien-Pierre Oresve marcha au supplice le lendemain du
jour où il avait été condamné et
rendit à Dieu sa belle âme, comme saint
Etienne, dans la première fleur de sa jeunesse
sacerdotale. L'enregistrement de son décès fut
fait à l'Hôtel de Ville de Rennes dans les
termes suivants, qui n'indiquent pas le lieu où il
fut exécuté : " Jullien Oresve,
ex-prêtre habitué de Bécherel [lire
Bédée], sans qu'il y ait de plus amples
instructions, est décédé le Ier
messidor an II (19 juin 1794). " Le souvenir de ce prêtre, écrit
l'abbé Guihard, dont le chanoine de Corson rapporte
les paroles, est demeuré vivant dans les paroisses de
Bédée et de Cintré, qu'il édifia
par ses vertus et qu'il maintint dans la Foi catholique
grâce à son zèle infatigable. (1) A cette époque, la constitution civile
n'était pas encore décrétée.