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Le P. Delaunay se trouvait en juin suivant à Sautoger, près de Sens, avec le recteur de Saint-Ouen-de-la-Rouérie, lorsqu'il fut arrêté, le 18 de ce mois, par les soins de la municipalité. Ce même jour, celle-ci chargea le sieur René Sausset, huissier près le tribunal du district de Dol, de conduire à Rennes l'ancien prieur de Rillé, conformément à l'arrêté du Conseil général d'Ille-et-Vilaine en date du 14 avril précédent. En conséquence, l'huissier Sausset fit monter à cheval le P. Delaunay et, accompagné d'un détachement de gardes nationaux, ils prirent ensemble la route de Rennes, ville dans laquelle ils arrivèrent vers les onze heures et demie du soir. L'ex-génovéfain trouva d'abord un logement chez Mlle Bertiau, place Sainte-Anne, puis, neuf jours plus tard nous le voyons résidant chez Joseph Duchesne, rue Haute.
 
Finalement, on l'enferma le 14 août 1792 dans l'ancienne abbaye Saint-Melaine avec tous les insermentés que l'on avait groupés par la violence dans la capitale de la Bretagne. (Cf. p. 6.)
L'existence de ces ecclésiastiques durant leur internement à Rennes avait été fort pénible : il leur fallait journellement répondre aux appels des agents et souffrir souvent les injures d'une vile populace, qu'on ameutait contre ces pauvres prêtres pour leur reprocher d'avoir refusé de prêter serment.

A Saint-Melaine, ils ne furent pas plus heureux : la nourriture de la maison était insuffisante et détestable; l'air manquait partout, et si les prisonniers voulaient ouvrir leurs fenêtres, les sentinelles leur envoyaient des balles et les " patriotes " les accablaient d'injures. La prière et le bréviaire récité en commun étaient les seules consolations de ces confesseurs de la Foi.

De Saint-Melaine, on transféra, le 1er octobre suivant, ceux de ces prêtres reconnus sexagénaires ou infirmes dans l'ancien couvent de la Trinité, converti également en prison. Nous reproduisons plus loin, aux pièces officielles, une lettre adressée par quelques-uns de ces détenus, parlant au nom de leurs confrères, laquelle nous en apprend long sur le fâcheux état auquel ils étaient réduits. Leur sort, du reste, ne fut nullement amélioré lorsqu'on les transféra au Mont-Saint-Michel, le 16 octobre de l'année 1793. (Cf. p. 8.)

On les confia, écrit le chanoine Guillotin de Corson, reproduisant Tresvaux du Fraval (1), à un ardent révolutionnaire, qui, en qualité de commissaire, fut chargé de les y conduire. Des gardes nationaux les escortaient d'une ville à l'autre; on les logeait dans les églises, où ils n'avaient que le pavé pour reposer la nuit. A leur départ de Pontorson, ville la plus voisine du lieu de leur destination, on vint dire au commissaire que la marée montait et qu'on ne pouvait passer. " Eh bien ! répondit-il, s'ils boivent un coup, cela ne leur fera pas de mal, " Mais la garde nationale de Pontorson lui répliqua qu'elle avait l'ordre d'escorter les détenus jusqu'au Mont-Saint-Michel, et non de les noyer dans la grève. Elle força le commissaire de rentrer en ville, et d'y rester jusqu'au moment où la mer se fût retirée. "

Lorsque les prisonniers furent arrivés au Mont-Saint-Michel, on les y entassa dans les cachots et on les soumit à un régime débilitant que la charité de quelques fidèles courageux put seule adoucir. On vit alors des chrétiens faire jusqu'à vingt lieues pour porter des vivres à leurs vénérés pasteurs.

L'abbé Guihard raconte avoir connu un vieillard qui, toutes les semaines pendant plusieurs mois, fit le voyage du Mont-Saint-Michel pour porter aux prisonniers de gros pains de ménage; ce bon paysan arrachait les larmes en rapportant les sublimes paroles que lui adressaient les courageux confesseurs de la Foi.

Deux documents adressés par la municipalité montoise aux membres du district de Saint-Malo, à la date du 12 et du 31 décembre 1793, nous montrent que l'on faisait littéralement périr d'inanition les malheureux prisonniers; on les trouvera, du reste, intégralement reproduits aux pages 121 et 122 de cette étude. Le P. Yves Delaunay partageait cette pénible situation lorsque les Vendéens entrèrent au Mont-Saint-Michel, au mois de novembre 1793, dans l'intention de mettre en liberté ces malheureuses victimes de la Révolution. Ce religieux, qui, en sa qualité d'Angevin, comptait peut-être des parents ou des amis parmi les libérateurs, les suivit, ne jugeant pouvoir être pis nulle part que dans cette affreuse prison. Le désir de se procurer quelques vivres, de l'aveu des municipaux du Mont-Saint-Michel, ne fut pas non plus assurément étranger à sa détermination.