A Saint-Melaine, ils ne furent pas plus heureux : la
nourriture de la maison était insuffisante et
détestable; l'air manquait partout, et si les
prisonniers voulaient ouvrir leurs fenêtres, les
sentinelles leur envoyaient des balles et les " patriotes "
les accablaient d'injures. La prière et le
bréviaire récité en commun
étaient les seules consolations de ces confesseurs de
la Foi. De Saint-Melaine, on transféra, le 1er octobre
suivant, ceux de ces prêtres reconnus
sexagénaires ou infirmes dans l'ancien couvent de la
Trinité, converti également en prison. Nous
reproduisons plus loin, aux pièces officielles, une
lettre adressée par quelques-uns de ces
détenus, parlant au nom de leurs confrères,
laquelle nous en apprend long sur le fâcheux
état auquel ils étaient réduits. Leur
sort, du reste, ne fut nullement amélioré
lorsqu'on les transféra au Mont-Saint-Michel, le 16
octobre de l'année 1793. (Cf. p. 8.) On les confia, écrit le chanoine Guillotin de
Corson, reproduisant Tresvaux du Fraval (1), à un
ardent révolutionnaire, qui, en qualité de
commissaire, fut chargé de les y conduire. Des gardes
nationaux les escortaient d'une ville à l'autre; on
les logeait dans les églises, où ils n'avaient
que le pavé pour reposer la nuit. A leur
départ de Pontorson, ville la plus voisine du lieu de
leur destination, on vint dire au commissaire que la
marée montait et qu'on ne pouvait passer. " Eh bien !
répondit-il, s'ils boivent un coup, cela ne leur fera
pas de mal, " Mais la garde nationale de Pontorson lui
répliqua qu'elle avait l'ordre d'escorter les
détenus jusqu'au Mont-Saint-Michel, et non de les
noyer dans la grève. Elle força le commissaire
de rentrer en ville, et d'y rester jusqu'au moment où
la mer se fût retirée. " Lorsque les prisonniers furent arrivés au
Mont-Saint-Michel, on les y entassa dans les cachots et on
les soumit à un régime débilitant que
la charité de quelques fidèles courageux put
seule adoucir. On vit alors des chrétiens faire
jusqu'à vingt lieues pour porter des vivres à
leurs vénérés pasteurs. L'abbé Guihard raconte avoir connu un vieillard
qui, toutes les semaines pendant plusieurs mois, fit le
voyage du Mont-Saint-Michel pour porter aux prisonniers de
gros pains de ménage; ce bon paysan arrachait les
larmes en rapportant les sublimes paroles que lui
adressaient les courageux confesseurs de la Foi. Deux documents adressés par la municipalité
montoise aux membres du district de Saint-Malo, à la
date du 12 et du 31 décembre 1793, nous montrent que
l'on faisait littéralement périr d'inanition
les malheureux prisonniers; on les trouvera, du reste,
intégralement reproduits aux pages 121 et 122 de
cette étude. Le P. Yves Delaunay partageait cette
pénible situation lorsque les Vendéens
entrèrent au Mont-Saint-Michel, au mois de novembre
1793, dans l'intention de mettre en liberté ces
malheureuses victimes de la Révolution. Ce religieux,
qui, en sa qualité d'Angevin, comptait
peut-être des parents ou des amis parmi les
libérateurs, les suivit, ne jugeant pouvoir
être pis nulle part que dans cette affreuse prison. Le
désir de se procurer quelques vivres, de l'aveu des
municipaux du Mont-Saint-Michel, ne fut pas non plus
assurément étranger à sa
détermination.